KAREL KOSIK, philosophe insoumis
1er mars 2004
Karel Kosik and his family. |
Karel Kosik est non seulement un des plus importants philosophes de la deuxième moitié du XXe siècle, mais aussi un de ceux qui ont le mieux incarné l’esprit de résistance de la pensée critique. Il est aussi un des rares qui ont combattu, dans leur succession, les trois grandes forces d’oppression de l’histoire moderne : le fascisme, au cours des années 1940, le régime bureaucratique stalinien, à partir de 1956, et la dictature du marché, depuis 1989. A une époque où tant de penseurs ont abdiqué de leur autonomie pour servir les puissants de ce monde, ou se sont détournés de la réalité historique pour se livrer à des jeux de langage académiques, Kosik apparaît comme un homme debout, qui refuse de s’incliner, et qui n’hésite pas à penser, contre le courant, les grands problèmes de l’époque.
Karel Kosik est né à Prague en 1926 au sein d’une famille ouvrière. Comme jeune militant du Parti communiste tchèque, il participe à la lutte clandestine de résistance contre le nazisme au sein du groupe dont faisait partie l’écrivain et combattant communiste Julius Fucik, auteur du célèbre Reportage au pied de l’échafaud, exécuté par les occupants. Arrêté par la Gestapo en 1944, Kosik sera d’abord enfermé dans la prison de Pankacic et ensuite déporté au camp de concentration de Terezin, où il restera jusqu’à la fin de la guerre. Soumis aux travaux forcés, il réussit à établir un réseau de correspondance avec l’extérieur grâce à la complicité d’une ouvrière allemande des chemins de fer.
Après la libération de la Tchécoslovaquie, le jeune Kosik a choisi d’étudier la philosophie, d’abord dans sa ville natale. Son prémier maître fut Jan Patocka, qui enseignait Husserl et Heidegger dans les années d’après-guerre à l’Université de Prague. Malgré leurs différences philosophiques, Patocka avait beaucoup d’estime pour son « ami marxiste », dont il dira plus tard qu’il est « le plus important représentant de la philosophie tchèque de l’époque actuelle ». Comme il était l’habitude à l’époque dans les pays de l’Est, Kosik a continué sa formation philosophique à Moscou et à Leningrad entre 1947 et 1949. De retour à Prague, il publie en 1953 Démocrates radicaux tchèques, une anthologie des insurgés de la révolution de 1848 précédée d’une introduction de sa plume. La parution de son premier texte philosophique – un article sur Hegel dans le cadre d’un débat sur la philosophie marxiste —coïncide avec l’année emblématique de 1956, celle du XXe Congrès du PC soviétique dans lequel Kroutchev dénonce les crimes de Staline et lance ainsi le processus de la « déstalinisation ».